Une balade matinale [Libre]

    Quel jour est-il ? Ne serait-ce pas un jour libre où je fais ce que bon me semble ? Septembre, il ne fait pas froid. Enfin, il ne fait pas trente degrés non plus mais lorsque l'on passe des saisons norvégiennes aux saisons islandaises, il n'y a pas de quoi être gelée. Il est tôt, beaucoup trop tôt pour moi. Fenrir, toi qui est mon protecteur, devrais-je sortir ? J'aimerais que tu sois près de moi à chaque instant, comme lorsque tu m'as sauvé d'une mort certaine, que tu puisses me donner des conseils, que tu puisses guider mes pas. J'ouvre le rideau qui me sépare des doux rayons du soleil, m'obligeant aussi à fermer les yeux pour m'y habituer. Je n'ai pas quitté l'école depuis que j'y suis, je ne peux pas retourner chez moi, l'été est si vide de monde.


    Il faut que, comme chaque matin, je m'entretienne physiquement. J'attrape un t-shirt manche longue, un jogging et des chaussures de course. Un jour, Fenrir, je te rejoindrais et la première chose qu'on fera, ce sera une course. Et je te battrais. Ne me punis pas pour ça, je sais à quel point tu es fière de moi. Depuis que je l'ai ( ou plutôt qu'il m'a ), j'ai toujours été habitué à lui parler, est-ce qu'il m'écoute ? Est-ce qu'il m'entend ? Est-ce qu'il veille sur moi ? Je n'ai pas le temps de réfléchir à ses questions, je crois en lui et j'espère qu'il croit en moi, pour rien au monde je veux le décevoir. Je referme le rideau, ouvre doucement la porte et sort, laissant ainsi mes colocataires tranquilles.


    J'entame ma course pour aller à la forêt, c'est un terrain parfait alliant l'équilibre et la dureté de la vie. Parfois, il y a de la boue, il faut savoir courir dessus sans glisser. Parfois, la terre est si dur que les quelques racines d'arbres en ressortent et il faut savoir les éviter. J'entre dans l'orée de la forêt, remarquant qu'aujourd'hui, je dirais que c'est entre les deux, ni trop mauvais ni trop parfait. Le silence de la forêt me repose tandis que je continue de courir, mais, soudain, les craquements que j'entends ne me semblent pas habituels. Qu'est-ce ? Je n'ai pas le temps de m'adapter au son qu'il s'est arrêté.


    Je respire, plus vite que d'habitude, Fenrir, m'aiderais-tu si j'étais à deux pas de la mort ? Tu n'en as pas le pouvoir, je le sais que trop bien, personne n'a vu de Dieu sur Terre depuis Dewi. Je marche doucement, évitant de craquer des branches, me mouvant dans le silence au cas où le bruit reviendrait. Quand je me retrouve non loin de la directrice de notre école ; madame Màthair, des questions fusent. Peut-être sait-elle ce que c'est, elle ? N'est-elle pas là depuis bien plus longtemps que moi ? Je décide de m'approcher, pour éviter de la prendre par surprise, je suis arrivée face à elle, non sans oublié un sourire et le respect que je me dois de lui avoir.


« Bonjour, madame. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, si vous êtes ici depuis au moins cinq minutes, vous avez du entendre la même chose que moi, qu'est-ce que c'était ? »


    Oui bon, parfois j'oublie que ma franchise n'a de cesse d'apparaître, je ne peux pas m'empêcher de lancer le sujet pour lequel je suis venue. Après tout, si je l'avais vu mais qu'il n'y avait pas eu cet étrange bruit, je sais que je ne serais pas venue la saluer. Non pas parce que je ne l'aime pas, juste que j'étais occupée à mon sport. J'espère ne pas la froisser, si j'étais bannie de cette école, je ne sais pas si j'oserais retourner chez mon père.

         Alors je ne me suis pas trompée. Je vois bien sur son visage, les yeux qui traduisent l'âme, qu'elle a tout autant que moi sentie cette présence. Je ne suis pas seule, c'est déjà ça. Il n'y a pas eu de problèmes dans cette école depuis que j'y suis, je ne vois pas ce que ça pourrait être, il se peut même que ce ne soit rien de grave à vrai dire. Ayant l'instinct de Fenrir, je ne vois pas pourquoi je me suis sentie mal un instant, je ne suis pas folle.

« À ma connaissance, le plus gros mammifère sur cet île est l'ours... Mais s'il s'agissait d'un ours, il y aurait de grande chance que je l'aie senti... Peut-être un élève lycanthrope... »


            Elle a bien trouvé le pays où diriger une école cette directrice. Les ours sont son domaine, les loups, le mien. Et ce n'était pas un lycanthrope, ils n'ont peut-être pas la même prestance que les loups, mais ils n'en demeurent pas loin cousins, je l'aurais remarqué. Cela reste qu'il n'y a plus de bruits, il a peut-être eu peur de toi, Fenrir ? De moi ça ne risque pas, je n'ai rien pour me défendre ! D'accord, j'arrête.
Je ne peux m'empêcher de savoir ce que la directrice fait ici, aussi tôt. Bien que ça ne me regarde pas, je voyais qu'elle farfouillait les plantes alentours.

« Sans vouloir vous offenser, ce n'était pas cette espèce de loup ratée. Bien essayé tout de même ! »

           Je rigole légèrement, sans vouloir être méchante, mais lorsqu'on me parle de ses espèces de faux loups, j'ai l'impression d'entendre Fenrir me murmurer de les insulter. Je jette un œil rapide à son sac, je vois quelques bricoles y dépasser, pour des rituels ? C'est bientôt Samhain, j'espère qu'elle nous prépare quelque chose d'extraordinaire, mieux que les années précédentes encore !

« Je peux vous aider ? Bon, je n'ai jamais eu d'excellentes notes en plantes et herbes, mais si j'ai un cours particulier de madame la directrice, je ne pourrais que m'améliorer ! N'est-ce pas ce que vous voulez pour vos élèves ? »

          Non, ce sourire ne lâche pas ses lèvres. C'est peut être audacieux pour certains, risqué pour d'autres de le demander de cette manière, mais je ne vois pas ce que je risquerais à lui proposer mon aide. C'est un échange donnant-donnant au final, elle finit plus vite, elle me dit en même temps ce que c'est.

 

            Je me retrouve souvent à penser que je parle beaucoup trop vite, sans prendre le temps de réfléchir. Lorsqu'on me parle de lycanthrope, je ne peux m'empêcher de penser seulement à ses loups ratés. Pourtant, dans ce cas-là, il semblait évident qu'elle me parlait simplement de métamorphose. Je préfère aussi que l'on me parle de ce terme plutôt que de l'autre, nul besoin de me rappeler qu'il y a des choses comme ça qui essaye de se faire croire cousins du loup. Je ne fais alors qu'un sourire, je me suis plantée en beauté, je ne vais pas en plus en rajouter, si ? Je devrais si je suis mon instinct plutôt que ma tête, mais c'est mon instinct qui m'a mis cette situation.


    Je suis presque sûre de déceler que ma proposition lui fait plaisir, et puis pourquoi ça ne lui ferait pas plaisir ? C'est une femme douce, un peu d'aide n'est jamais de refus ! Certains pourraient penser que je cherche à avoir un service en retour, mais je ne suis pas du genre hypocrite et elle le sait, si je veux quelque chose, je le dis, je ne fais pas d'entourloupe. Ma proposition est alors totalement désintéressée. Dès qu'elle met son sac sur l'épaule, et commencer à repartir, je ne tarde pas à la talonner, ne voulant même pas lui couper la parole.


« À vrai dire, la récolte de ces petites choses est surtout une question d'observation. On a beaucoup de chose dans la serre et dans les jardins, mais il y en a tout autant dans cette forêt. C'est merveilleux. »


    Une question d'observation ? Tout comme la patience, je ne l'ai pas vraiment, ce n'est pas que je ne le veux pas, je n'ai juste pas ressenti le besoin de le faire. Il y a bien un point où je la rejoins totalement, la biodiversité est merveilleuse, je ne peux que me contenter de faire un hochement de tête. Lorsqu'elle me pointe du doigt une espèce de champignons que je ne saurais nommé, elle reprend la parole.


« Regarde, là, ce sont des bolets à pied rouge. Ils sont facile à reconnaître. Évidemment par leur pied rouge, mais surtout... »


    Bolet à pied rouge, je ne connaissais pas. Peut-être qu'en cours, on l'a déjà parcouru, mais comme je lui ai dit, je ne suis pas très forte en ingrédients. A pied rouge, il porte très bien son nom même s'ils n'ont pas du mettre très longtemps à le trouver. Je continue d'épier ses faits et gestes, lorsqu'elle s'accroupit et prend dans ses mains l'un des champignons, elle casse son chapeau, me montrant alors la chair jaune clair virer au bleu noircie. Je reste perplexe, la magie se trouve aussi dans la nature, finalement. C'est beau. Pas le champignon, sa chaire.


« Surtout, quand on les cueilles, leur chair change de couleur. C'est pour ça qu'ils sont facile à reconnaître. On ne les utilise pas trop en potion, mais ils sont délicieux dans une omelette ! »


    Là, je laisse échapper un rire. Elle ne pense pas qu'aux potions ce matin, notre directrice pense à son estomac ! J'ai eu envie de lui rétorquer quelque chose lorsque je la vois poser une main au sol.


« Et surtout, il ne faut pas oublier de remercier la terre. Ce ne sont pas des serres ici. Ce qui pousse ne nous appartient pas. Nous ne faisons... Que l'emprunter. »


   Encore une fois, je ne peux que être d'accord. La nature est merveilleuse et il faut la respecter, trop de personnes l'oublient.


« Vous êtes super, vous le savez, hein ? Surtout, ne partez jamais. »


    Comme pour tout, ce qui sort de ma bouche révèle ce que je pense sans aucun filtre. Je ne tiens pas plus que ça à ce qu'elle réponde, je ne suis pas trop friande des remerciements non plus. Je le pense, je le dis pas besoin de me remercier. Je me penche vers un de ses champignons, prenant soin d'en attraper un sans embêter les autres. Cette fois je ne casse pas son chapeau, inutile d'en oxygéner un deuxième. Je prends alors un temps pour remercier la nature, j'aurais au moins appris quelque chose. Je me relève et met le champignon dans son sac.


« Dans une omelette, un champignon c'est triste, un deuxième c'est mieux, non ? Vous penserez à moi quand vous le cuisinerez ! »


    Je lâche un léger rire, et un sourire. Je suis sérieuse, elle se rappellera bien de celle qui l'a aidé à préparer son repas. Je regarde une plante un peu plus loin, comportant plusieurs étranges fleurs. Je me retourne vers la directrice, je suis curieuse, ce n'est pas de ma faute.


« Et ça, c'est quoi ? »

 

            Je la regarde se rapprocher de nous, la plante et moi, elle tâte les fleurs, je ne les reconnaissais pas. A vrai dire ça ne risque pas, je suis une vraie quiche en cours à ce niveau-là. J'essaye pourtant, mais ce n'est jamais facile quand on a jamais été habitué à autant de verdures.


« Je dirais une orchis miel, de la famille des orchidées. Une fleur sauvage bien sûre ! »


         C'est bien ce que je disais, je n'aurais jamais deviné ni la famille, ni son nom. Orchis miel, il faut que je garde ça en tête, ça pourrait m'être utile un jour, qui sait ? Pour impressionner n'importe qui. Ou alors je suis la seule sur Terre à ne pas connaître, qui sait ?


« Vous n'utiliserez probablement pas cette fleure en cours, tu as une idée de pourquoi ? »


         Alors là, elle me pose une colle. Est-ce qu'elle est toxique ? Ou alors elle n'a peut-être aucune vertu ? Non, je ne peux pas dire ça. Je pense qu'elles ont tous des vertus plus ou moins grandes, celle-ci ne doit pas faire exception. Bon, autant dire quelque chose au hasard et croiser les doigts pour que ce soit ça ?


« Clairement, je n'en ai aucune idée » Pourquoi je dis ça ? « ,mais je vais essayer. Elle peut être toxique à mauvais dosage ? Ou alors, elle ne sert pas à grand chose ? »


         Bon, c'est quand même  sorti seul, mais j'en ai tellement aucune idée que je me sens obligée de le dire quand même. Je regarde la plante de plus près, mais surtout la fleur.

« Elle perd sa vertu très peu de temps après la coupe ? »


         J'aurais tenté ce qui me passe par la tête quoi.

 

« Ce n'est pas tout à fait ça, même si bien entendu, le dosage est un paramètre très important dans les potions. C'est un art vraiment minutieux. Mais je te rassure, à ton âge, je n'en savais pas plus que ça sur les orchides. On apprend souvent plus par soi-même que par ce que les professeurs s'acharnent à nous faire rentrer dans la tête. »


         Bon, j'y étais presque. On est repartis, marchant dans cette forêt. Je ne sais pas si elle connait le bulletin des élèves par cœur, ce qui m'étonnerait ; il y en a vraiment beaucoup, mais les potions et moi, on est pas les meilleurs amis. Au moins, nous sommes bien d'accord sur un sujet, on est jamais mieux servi que par soi-même, bon, là elle parle de connaissance, mais ça marche pour beaucoup d'autres choses. Pourquoi je passe autant de temps dans les bouquins ? Je m'avance. C'est facile.


« Enfin, pour répondre plus justement, les orchidées sont les plantes que l'on utilise dans certains filtres d'amour. Et corrompre les sentiments d'une personne, c'est noir, très noir comme magie. »


         Pourquoi je n'y ai pas pensé ? De la magie interdite, tout simplement, ça parait claire comme réponse maintenant. Un filtre d'amour ? Qui serait assez tordu pour faire ça ? Et puis, à quoi ça servirait ? Qui peut vivre avec quelqu'un sachant que ses sentiments ne viennent que d'une boisson ?


« Mais quand il s'agit de sentiments d'amour. »


        Je suis sûre à mille pour cent que je suis tellement perdue avec ce sentiment que ça ne marchera pas. Non, sérieusement, les potions sont plus puissantes que ça. Je ne résisterais jamais. Je pense que je serais capable de tuer quelqu'un, si on me force à l'aimer. Imaginez, vous buvez une potion, le lendemain il y a trois mois qui sont passés vous êtes mariés et attendez un enfant ? Inimaginable. A vomir.


« Une personne faisant appel à un filtre d'amour doit avoir un sacré problème psychologique. On ne peut pas vivre avec une personne, lorsque l'on est stable mentalement, sachant que ses sentiments sont erronés. »


         On continue d'avancer, dans cette forêt. J'en avais presque oublié le bruit qui m'avait poussé à aller la voir. J'ai peut-être changé de sujet, mais je ne risque pas de l'oublier. Ce n'était pas normale. Ce n'était pas un animal, c'était bestial. Et si.. Fenrir m'envoyait quelque chose ? Non, non, non. Ne fais rien de stupide. Puis, cette bête serait venue à ma rencontre, je me trompe, Fenrir ?


« Un filtre d'amour, c'est définitif ? Ou faut le renouveler pour qu'il agisse ? »


         Mes questions pourraient lui faire croire que je veux en utiliser un, mais c'est très loin d'être le cas. Je n'en aurais pas l'utilité, puis je suis surtout curieuse de savoir si on peut s'en rendre compte ou pas.